news

- La lettre de Terre Burkina
- Quelles richesses !

- Parole d'élève
Des parrainages et des lettres
- Campagne de rentrée
- Une rencontre

Prochain numéro le 15 décembre 2018
En attendant, retrouvez-nous sur notre Blog et Facebook.

C'est la rentrée !

Toute l'équipe de Terre Burkina vous souhaite une très belle rentrée :-)
La rentrée ? Presque.
Au Burkina, ce sera tout début octobre, les élèves poursuivent ainsi encore un peu leurs vacances sous le signe de la détente... mais aussi du travail !
Nombre d'entre eux sont en effet occupés par les travaux champêtres auprès de leurs familles, la saison (sur notre zone d'intervention) est plutôt bonne et il faut continuer à entretenir la terre pour favoriser le développement des céréales et parvenir à une bonne récolte.
Les élèves un peu plus âgés et/ou en ville, mènent d'autres activités rémunératrices pour eux-même et pour la famille. Parmi les élèves parrainés par Terre Burkina, certains vendent du pain ou travaillent en cuisine, d'autres sont sur des chantiers pour confectionner des grillages, d'autres encore comme employés de boutiques, maquis (bars) ou dans des salons de coiffure. Si les parents possèdent un petit commerce de rue, c'est aussi l'occasion de prêter main-forte pendant cette période.
En parallèle, pour toutes et tous, la rentrée approche à grands pas et il faut s’inscrire dans les établissements scolaires. Ce n'est jamais une mince affaire et parfois les places disponibles sont très rares, pour les redoublants on s'approche même du parcours du combattant. Nous sommes aux côtés des élèves parrainés pour les accompagner le plus possible dans ces démarches.

L'Arbre à Palabre a plusieurs objectifs : garder le contact avec vous (en plus de notre blog, site internet et page Facebook), vous faire découvrir le Burkina par différents vecteurs (articles, interviews, Parole d'élève) et également vous détailler la partie plus "interne" de l'association, notre fonctionnement, nos actions, etc. Dans ce numéro, nous parlerons des richesses immatérielles du Burkina, nous laisserons une nouvelle fois quartier libre à Pédro et découvrirons Alice S. qui nous parlera des Dagara. Côté association, on vous embarque dans les coulisses de notre campagne de parrainage et dans l'organisation des correspondances entre les parrains- marraines et leurs filleul.e.s.

On se pose à l'ombre de notre bel arbre ? Belle lecture à toutes et tous :-)

Anthony PATE

5b9d2da15432a_Photo 013.JPG

Le Burkina est un pays riche !

Voilà ça c'est fait :-)
On ne compte plus les articles qui débutent par "Le Burkina Faso est un pays pauvre d'Afrique de l'Ouest" etc.
Loin de nous l'idée de nier certaines choses mais il est important de savoir décaler son regard pour percevoir une autre image du Burkina.
Ce thème nous tient à cœur et nous aurons également à cœur de le développer longuement ultérieurement.

Voici un peu pêle-mêle ce que nous voulons dire par là :

Plus de 70 ethnies sont représentées au Burkina Faso (sans compter les sous-groupes ethniques), nous ne les détaillerons pas, ce serait en oublier, et de nombreux sites le font déjà parfaitement bien et de manière exhaustive. (Même si nous avons illustré l’interview de ce numéro par une carte de manière à situer nos amis Dagaras dont il sera question) Elles se côtoient dans une entente quasi parfaite. Certains s'attachent à garder l'authenticité de leur ethnie et d'autres vont mélanger le tout au gré de leurs rencontres et envies, cela permet un brassage culturel et artistique incroyable qui font des productions d'arts en tout genre et de musiques des trésors d'une richesse phénoménale.

Les principales religions y cohabitent (pratiquement sans soucis) et même dans une fraternité sincère : lieux de culte partagés, rassemblement de "croyants", invitation de la communauté chrétienne à l'Aïd et musulmane à Noël... Le tout sur un fond d'Animisme représentant une véritable passerelle entre les religions et les croyants.

La parenté à plaisanterie (elle fera l’objet d'un article dans le prochain numéro), les traditions (pas toutes !), le "patriotisme burkinabé", etc. ont permis de "policer" un ensemble complexe et non naturel (car imposé par une colonisation féroce) et de le transformer en un ensemble cohérent et d'une richesse folle. Beaucoup devraient s'inspirer de ce cheminement. Il convient de revenir sur "patriotisme burkinabé" : c'est un sentiment et une attitude qui fait d'un citoyen du Faso, un Burkinabé avant tout. Avant d'être issu d'un groupe ethnique, d'une région ou croyant de telle ou telle religion. C'est dans ce sens-là qu'il faut l'entendre et pas dans l'autre ! C'est ainsi qu'il faut comprendre "Burkina avant tout"... et pas dans le sens du rejet de l'étranger. Car cet étranger est toujours le bienvenu en famille et l'accueil est un art et un devoir pour tous et toutes. Là aussi, beaucoup pourraient s'en inspirer.

Ces types de richesses méritent d'être reconnus. La parenté à plaisanterie au Burkina doit être inscrite au patrimoine mondial culturel immatériel de l'UNESCO. La demande est en cours et nous croisons les doigts très fort !

5b9d2da155c8d_Photo 011.JPG

Parole d'élève
Deuxième article de Pédro (cf. Arbre à Palabre précédent)

"Bonjour chers lecteurs, 

Je me nomme Pédro et je vais vous parler de mon parcours scolaire. 

Octobre 2001, j'avais quatre ans, je fus inscrit en tant que "auditeur libre", car je n'avais pas l'âge requis, qui était de sept ans à l'époque, pour la classe de CP1 (Cours Préparatoire 1ère année). Plus jeune de ma classe, j'attirai l'attention lorsque je fus parmi les 5 premiers de ma classe au 1er trimestre. C'était dans une école privée de mon quartier, nommée "Petit David". Je fus mes 2 premières années élève dans la même école.

Octobre 2003, je changeai d'école et de domicile et je fus inscrit dans une école publique où je fis le reste de mes études primaires et où j'obtins mon premier diplôme : le CEP (Certificat d'Etudes Primaires). 

Octobre 2007, me voici au collège, en classe de 6ème au Lycée Mixte Montaigne. Tout stressé, je me demandais à quoi je devais faire face. Quelques semaines après, je m'adaptai au nouveau challenge et voici que j'étais encore le plus jeune de ma classe. Je fus souvent interpellé par l'intendant pour des questions de non-régularité de la scolarité, et même renvoyé de la classe à plusieurs reprises. A la fin de l'année, j'avais la moyenne requise pour la classe de 5ème. 

Octobre 2008, me voici en classe de 5ème, mais à ma grande surprise j'avais un dernier versement de ma classe de 6ème non payé. Heureusement, un ami de ma maman paya ma dette et ma scolarité de l'année en cours. Cette année fut sans problème et je fus même récompensé comme étant le plus jeune élève studieux de mon lycée.

Octobre 2009, me voici en 4ème dans le même lycée. Des membres de l'association Terre Burkina entrèrent à ce moment-là en contact avec ma maman, et l'association s'occupe encore de moi à l'heure où je vous parle ! 

Bref ! Octobre 2010, me voici en 3ème, année perturbée par des troubles intérieurs, c'est-à-dire des mutineries, des grèves, et tout le monde eut une année blanche. J'échouai cette année à mon examen du BEPC et j'eus de l'amertume. L'année suivante je passais mon examen avec succès, j'obtins même l'entrée en seconde et je fus affecté dans un lycée public nommé Marien N'Gouabi. Je passais mes années de second cycle dans ce lycée où je réussis mon examen du baccalauréat en 2015.

Je tiens à remercier ma marraine et les membres de l'association Terre Burkina qui m'ont aidé à devenir ce que je suis aujourd'hui et ce que je serai demain. Merci !"

5b9d2da15692d_I-Grande-111035-n-1421-timbre-burkina-poste.net.jpg

Des parrainages et des lettres

Les parrainages Terre Burkina se veulent vecteurs d'échanges, par définition à double sens. C'est pour cette raison que nous encourageons les correspondances entre filleuls et parrains. 

L'immense majorité des enfants parrainés n'ayant pas accès à l'électricité à la maison, et encore moins à internet (impossible donc d'utiliser l'outil "message" de Fasoma pour contacter son filleul, celui-ci n'est destiné qu'à s'adresser aux membres de l'association en France !),  l'échange épistolaire est privilégié. Celui-ci recèle par ailleurs un certain charme. Recevoir une lettre écrite à quelques milliers de kilomètres de chez soi, par quelqu'un que l'on a jamais rencontré, demeure un moment fort. 

En début de parrainage, les coordinateurs Terre Burkina évoquent avec les enfants parrainés la possibilité de cette correspondance. De la même manière, vous parrains, en êtes informés dès vos premiers contacts avec l'association. 

Notre objectif est le partage : échanger sur soi-même, son existence, sa vie quotidienne, prendre des nouvelles, encourager... Rien n'est évidemment imposé, ni au parrain évidemment, ni au filleul, ce qui explique les grandes disparités au niveau du nombre de lettres reçues. Certains filleuls écriront beaucoup à des parrains qui ne répondront que rarement, et vice versa ! Le choix des équipes de Terre Burkina est de mettre à disposition les solutions techniques de cette correspondance, et ensuite "A vous de jouer !" est le mot d'ordre, pour les filleuls au Burkina comme pour les parrains en France.

Ici comme là-bas, pas toujours simple ! Les élèves peuvent se trouver mis en difficulté face à la feuille blanche. N'oublions pas que le français n'est pas leur langue maternelle, mais seulement une langue de scolarisation pour eux. Ils l'utilisent dans le contexte assez précis des notions scolaires, et sortir de ce registre pour écrire une lettre n'est pas forcément aisé. De nombreux élèves évoluent dans un monde souvent assez éloigné de la langue écrite, notamment en ce qui concerne le contact social, ce qui peut expliquer que la rédaction d'une lettre puisse être malaisée pour eux. Enfin, beaucoup d'élèves parrainés sont en classe de CP1, CP2 ou encore CE1. Leur relation avec la langue française ne date que de quelques années, difficile pour eux de rédiger même quelques lignes. Imaginons nos enfants de CP ou CE devoir écrire des courriers en anglais !

Nos coordinateurs encouragent donc les plus jeunes à faire des dessins à leur parrain, souvent inspirés de leurs leçons de sciences naturelles ou autre (d'où les schémas de plantes ou d'animaux que vous avez peut-être reçus !). Quelques années plus tard, arrivés en classe de CM puis au collège-lycée, vos filleuls s'essayeront probablement à l'écriture de lettres plus ou moins longues,  dans lesquelles l'orthographe et la syntaxe ne seront parfois que  plus ou moins au rendez-vous ! Patience, tout ceci tend à s'améliorer au fil des années de scolarisation. 

Les missives reçues prêtent parfois "à sourire", d'autres encore contiennent des phrases ou expression quelque peu opaques car non ou moins utilisés dans les usages en France... Dans tous les cas, il est important de bien avoir en tête les nombreux aspects qui font de cette correspondance un exercice ardu pour certains enfants : différence culturelle notamment, différence d'âge entre filleul et parrain (pas toujours simple de savoir quel ton employer avec un adulte inconnu mais qui vous vient en aide chaque mois et grâce à qui vous devez votre accès à l'école !), personnalité de l'enfant également (s'immobiliser devant une feuille, parler de soi... Comme pour les adultes, ces tâches vont sembler simples pour certains enfants, extrêmement malaisées pour d'autres). Nous vous invitons à une certaine compréhension face à certaines phrases maladroites, par exemple ces quelques filleuls qui ont une tendance à la "lettre au Père Noël" et émaillent leurs courriers de "je voudrais...", "j'aimerais...", etc. :-)
Par ailleurs, il faut savoir également que c'est, parfois, le grand frère ou la grande sœur qui écrit la lettre, sous la dictée ou non de l'élève parrainé.

Le tableau ne serait pas complet sans évoquer les difficultés techniques mises en jeu par ces échanges. Si les lettres sont collectées efficacement auprès des enfants par nos coordinateurs lors de leurs tournées puis expédiées par envoi groupé, il arrive que des courriers se perdent. Ainsi depuis le début de l'année 2018, deux séries de lettres ne sont jamais parvenues jusqu'au siège de Terre Burkina en France. Parfois pour toujours, parfois elles arrivent de longs mois après. Arrivées en France, ces lettres sont ensuite réexpédiées de manière individuelle à chaque parrain en France, et vous recevez en même temps une enveloppe retour adressée à la boîte postale de Terre Burkina à Koudougou au Burkina Faso. Les domiciles des enfants ne bénéficiant pas d'un système d'adressage permettant une distribution du courrier par les services de la Poste burkinabè. Nos coordinateurs relèvent régulièrement cette boîte postale et remettent les courriers aux enfants destinataires lors de leur tournée mensuelle dans les familles.

Tout ce circuit présente donc un certain nombre d'intermédiaires, ce qui explique les délais entre l'écriture d'une lettre et sa réception, et il est probable que vous ne receviez des vœux de bonne année qu'en mars.  

Nous tenons bons et maintenons chaque mois ce travail complexe, parce que recevoir une lettre de son parrain de France demeure un moment plein de magie pour un enfant parrainé (pour en avoir été témoin à de nombreuses reprises, vous n'imaginez pas la joie procurée ... et l'encouragement à bien travailler à l'école ;-)... Quant à la réciproque, nous vous laissons seuls juges mais sommes certains que cela vous touche beaucoup aussi, n'est-ce pas ?

5b9d2da156d64_5 bonnes raisons....png

Campagne de rentrée

En plus des efforts permanents pour trouver de nouveaux parrains-marraines, nous effectuons chaque année une "campagne de rentrée" de manière à être visibles le plus possible en cette période propice et à inviter le plus grand nombre à nous rejoindre.
Cette année, nous avons misé sur Facebook... à la sauce Facebook !
Nous privilégions cette période pour une "grosse campagne", mais il n'y a véritablement aucune bonne ou mauvaise période pour parrainer. Les sales coups de la vie peuvent se produire à tout moment dans l'année. Un enfant et sa famille peuvent ainsi se retrouver dans des grandes difficultés du jour au lendemain. L'inspection scolaire nous fournit des listes d'élèves en grande difficulté régulièrement et nous nous attachons à leur trouver des parrains-marraines toute l'année.

Facebook, Facebook... après quelques hésitations, la campagne fut intitulée ainsi : "5 bonnes raisons de parrainer un enfant", very Facebook, isn't it ?

Nous nous sommes ainsi creusé la tête pour trouver des "raisons" de parrainer, elles sont tellement évidentes pour nous qui sommes très au contact des résultats sur le terrain, que nous nous sommes lancés dans un brainstorming important pour n'en trouver QUE cinq.
Elles devaient être percutantes, drôles et efficaces !
Chaque raison a été légendée par un "sous titre", une image reflétant l'idée et une petite explication de texte.

Les voici:
1 - "Changez le monde !" - (C'est pas de nous c'est Monsieur Mandela qui le dit !) L'éducation est l'arme la plus puissante pour changer le monde.

2 - Correspondre avec votre filleul.e et sa famille - (Si vous le souhaitez et au rythme de vos envies !) De jolies lettres, de jolis dessins, une belle découverte mutuelle.

3 - Ça fait du bien - (Oui oui, beaucoup de bien et à tout le monde !) Oui, ça fait du bien... Un sourire, des photos, des nouvelles, ce lien vers l'autre...

4 - 1 € par jour - (Et avec la déduction ficale de 66 %, ça fait plus que 10 € par mois !) En mutualisant nos efforts, on fait de grandes choses, de très grandes choses.

5 - Ça créé des emplois - (Et tellement de projets derrière tout ça !) 5 emplois stables ont déjà été créés au Burkina pour la gestion des parrainages. Grâce à vous, il y en aura beaucoup d'autres.

Un sixième panneau a été créé, il reprend les 5 raisons avec en légende (Pssssst... La meilleure raison, c'est que ça va changer la vie d'un enfant !)

Facebook annonce autour de 25000 vues et beaucoup de "like". C'est trop tôt pour mesurer les conséquences directes mais on note déjà une jolie hausse des demandes de parrainage.

On croise les doigts ! Retrouvez cette campagne en suivant ce lien -> Campagne de rentrée

5b9d2da1572a0_Ethnies BF.jpg

Interview de Madame Alice (nous tairons son nom à sa demande), elle nous parle de son appartenance ethnique.

Terre Burkina – Bonjour Alice, pourriez-vous me parler de l'ethnie Dagara, à laquelle vous appartenez ?

Alice  Le peuple Dagara appartient à la grande famille des Lobi ; c'est un peuple qui habite dans la zone Sud-Ouest du Burkina, frontalière avec le Ghana. Il y a d'ailleurs aussi des Dagara au Ghana. 

Terre Burkina – Y a-t-il une langue Dagara spécifique ? 

Alice  Oui, il faut savoir qu'il y a au moins 7 langues parlées dans le Sud-Est du Burkina. Les Dagara parlent leur langue, qui n'est pas la même que celle des Lobi, par exemple. 

Terre Burkina – Y a-t-il une transcription écrite "officielle" du Dagara ?

Alice  Oui, le Dagara fait partie des 20 langues officielles du Burkina Faso. Donc il y a des gens formés à l'alphabétisation dans cette langue, il y a des journaux télévisés en Dagara, quelques livres en Dagara...

Terre Burkina – Nous avons entendu parler d'une condition de la femme qui serait un peu "différente" au sein de l'ethnie Dagara, que dans le reste du pays... Pourriez-vous m'en dire plus à ce sujet ? 

Alice  Oui... C'est vrai. Moi je pense que le peuple Dagara est un peuple démocrate libéral. La femme Dagara est très considérée dans la famille, notamment en ce qui concerne la répartition des biens. Par exemple sur ses papiers après le mariage, une femme Dagara garde son nom de jeune fille à côté de celui de son mari. Parce qu'en réalité chez les Dagara, la famille a de l'importance mais au-dessus de ça nous avons une entité plus importante, le clan. 

Terre Burkina – Une sorte de "grande famille"...? 

Alice  Plus ou moins... Cela veut dire qu'on a une origine commune, mais pas forcément le même nom de famille. On ne vit pas forcément dans la même zone non plus, mais les membres du clan joue un rôle primordial lors des événements importants de la vie. On ne peut pas non plus se marier entre personne du même clan, même si les liens ne sont pas directs. 

           Pour revenir à la condition de la femme, celle-ci est différente aussi selon le lieu où l'on se trouve. Par exemple, au village mes enfants portent mon nom, et quand on fait une fête au village en l'honneur de ma famille, mes enfants sont les bienvenus car ils portent ce nom. Mais en ville, on aura plutôt tendance à les appeler par le nom de leur père. 

Terre Burkina – Pourquoi cette différence ?  

Alice  Ah ! Parce qu'en ville, l'héritage se fait surtout côté paternel... Du coup, mieux vaut que sur ses papiers l'enfant porte aussi le nom de son père, pour être bien reconnu comme son enfant. Il y a certaines limites à nos coutumes pour respecter l'usage ici. 

Terre Burkina – Finalement, vous revenez à un système plus patriarcal pour respecter l'usage du pays ? 

Alice  Quelque part, oui. La règle reste la même pour les Dagaras au village, mais c'est vrai qu'en ville on doit suivre les règles de l'administration, et souvent c'est celui qui va déclarer l'enfant à la préfecture qui décide du nom porté... Ca dépend.

Terre Burkina – Est-ce que l'origine de cette coutume, par exemple, est connue ? 

Alice  Oui ! On dit que l'on est toujours sûr de savoir qui est la mère de l'enfant, mais pas toujours du père ! L'enfant porte donc le nom de la mère, mais il appartient au clan de son père. Ce qui est paradoxal, c'est qu'il peut quand même hériter de ses oncles maternels. Mais toutes ces traditions ont tendance à disparaître. On a tendance à respecter cela mais seulement de manière symbolique, le neveu héritera par exemple d'un poulet ou d'un petit objets, car il y a eu des abus dans le passé, les neveux héritait de tout et la famille était laissée dans le dénuement. Tout cela, je pense que ça contribue à valoriser la femme dans la société. Le fait de laisser une place importante aux enfants dans la famille de leur mère fait que celle-ci est toujours considérée par sa famille, même si elle s'est mariée. Et puis, dans les dots - parce que c'est vrai que la femme est dotée - ...

Terre Burkina – La dot, je le rappelle, c'est bien le fait que la famille du futur mari donne une somme d'argent ou certains biens à la famille de sa future femme avant le mariage ?

Alice  C'est ça ! Chez les Dagara on ne doit jamais donner la totalité de la dot. Par exemple si la dot c'est 3 boeufs, on en donnera toujours que 2. Ca permet de maintenir le lien entre les 2 familles et que la famille de la mariée puisse continuer à demander des comptes à la famille du marié, pour être sûr que tout se passe bien dans le foyer, et donc c'est aussi une manière de protéger la femme. Le jour où on paye le restant de la dot, cela symbolise la rupture entre les 2 familles. Même à la mort de la femme, on peut choisir de ne toujours pas payer le restant de la dot à sa famille, cela voudra dire que les 2 familles conservent un lien fort.

Terre Burkina – Y a-t-il d'autres domaines où l'on constate que la société Dagara tend à "protéger" les femmes ? 

Alice  Sur le plan coutumier, la femme ne possède pas de terre, par contre les terres du couple sont en commun, le mari et la femme cultivent ensemble.

Terre Burkina – Il faut rappeler que dans beaucoup d'autres ethnies, il y a souvent les terres du mari et celles de la femme.

Alice  Oui, chez les Mossis par exemple, souvent les champs sont séparés, ou éventuellement il peut y avoir aussi des champs communs en plus. Chez les Dagara on cultive ensemble et on met les récoltes en commun, même quand il y a plusieurs femmes. 

Terre Burkina – Ah, il y a donc de la polygamie aussi chez les Dagara ? 

Alice  Oui, il y a des familles polygames, chez les animistes mais pas chez les Chrétiens. Chez les Musulmans aussi, mais les Dagara musulmans ne sont pas très nombreux. Et donc, même dans les familles polygames, la tradition est de manger tous ensemble, les femmes et tous les enfants ensemble. Avec la modernité cette coutume a peut-être un peu diminué... De manière générale, même si elles ne s'assoient pas sous l'arbre à palabre avec les hommes, les femmes sont concernées par les prises de décisions, elles sont toujours consultées et on tient compte de leur avis. Elles reçoivent une partie de la dot de leur fille, pour bien montrer que l'enfant n'est pas seulement l'enfant du père. C'est aussi la femme qui accompagnera sa fille dans la famille du mari lors du mariage. Globalement, chez les Dagara, la famille a tendance à être plus "resserrée", c'est-à-dire qu'on peut facilement voir un homme assis à côté de sa femme à causer dehors le soir, ou alors prendre sa femme sur son vélo pour se déplacer. Ce n'est pas forcément quelque chose qu'on voit facilement dans les autres ethnies. 

Terre Burkina – Y a-t-il des différences en terme d'accès à l'éducation des filles, par rapport à d'autres zones du Burkina ou d'autres ethnies ? 

Alice  Tout dépend de quel type d'éducation on parle ! C'est bien vrai que l'éducation est différente : on éduque les garçons pour être des garçons, et les filles pour être des filles, et donc pour devenir père ou mère. Au niveau de l'éducation traditionnelle, on dit que les enfants sont "initiés". L'initiation des filles et celle des garçons n'est pas la même. Au niveau de l'éducation scolaire, je crois que de manière générale en Afrique, si on doit choisir entre sa fille et son garçon pour aller à l'école, on aura toujours tendance à choisir quand même le garçon. On considérera que la fille pourra jouer son rôle en ayant reçu l'éducation traditionnelle, tandis que le garçon pourra mieux gagner sa vie grâce à l'éducation scolaire, et donc ça sera utile à tout le reste de la famille, y compris ses soeurs. Mais actuellement les choses ont tendance à changer, le gouvernement encourage beaucoup la scolarité des filles. On commence à comprendre que la fille aussi peut venir en aide à sa famille d'origine, même si elle est mariée.

Terre Burkina – Merci beaucoup, Alice, pour toutes ces informations !